« L’éducation bienveillante : pour les autres oui, pour moi non merci, ce sera dans une autre vie » Une vie qui pensera à me fournir le kit « patience infinie, pondération, et prise de recul à toute épreuve ».
Voilà ce que se disent intérieurement certains parents lorsqu’ils entendent parler de tous ces ateliers d’éducation bienveillante et positive qui fourmillent autour de nous – et que j’anime d’ailleurs régulièrement auprès de parents.
Alors même si vous répondez avec un grand sourire : «Ce sont des approches fabuleuses !», au fond de vous, une petite voix vous susurre qu’avec votre tempérament soupe au lait et les Gremlins qui vous servent de progéniture, ce n’est pas vraiment gagné pour vous, même avec tous les meilleurs ateliers du monde.
Certains se disent peut-être aussi : « Mon problème à moi, c’est que je le suis trop, bienveillante ! Faut-il que je vous montre mon visage cerné, et ma maison totalement retournée 10 min après le retour de l’école ? J’aurai plutôt besoin d’un atelier de communication MALveillante pour arriver enfin à me faire entendre ! »
Comment se fait-il qu’en veillant à être bien-veillant, certains parents perdent en vaillance ? Auraient-ils oublié de veiller à eux-mêmes ?
Définition du terme bienveillance : « Disposition favorable envers quelqu’un »

Aussi quelques mots pour éclaircir les quiproquos…

Qui a dit cependant que l’éducation bienveillante était réservée aux papas et mamans parfaits, à ceux qui ne savent s’exprimer que d’une voix douce et modérée ?
Qui a dit que l’éducation bienveillante signifiait dire oui à tout et acheter la paix en permanence ?
Qui a dit que l’éducation bienveillante ne se préoccupait que du bien-être de l’enfant ?

Si l’éducation bienveillante est une façon supplémentaire de se contrôler soi-même pour mieux contrôler ses enfants,
Si elle devient une machine à produire des enfants rois et des parents dépassés et épuisés,
Si elle est une façon détournée de suggérer des règles de conduite aux parents pour qu’ils ne sachent plus ensuite comment en mettre à leurs enfants,

Alors, par pitié, il vaut mieux qu’elle ne soit pas ! Et pourtant, ceux qui me connaissent savent combien l’écoute et la compréhension des besoins de l’enfant est au centre de mon travail.

Pourtant, ces quiproquos ne viennent pas de nulle part. Elles sont héritées, entre autres, d’une distorsion progressive de l’information adressée aux parents.
Après mai 68, et son fameux « il est interdit d’interdire » les modèles d’éducations parentaux n’ont pas échappé à une profonde remise en cause. La plupart des parents ont mis à terre l’éducation « à l’ancienne », enracinée dans la toute-puissance du pater familias, lui attribuant la cause de tous leurs maux.
Dans une même temporalité, Françoise Dolto a continué le travail entamé au cours du siècle par la psychanalyse, pour faire connaître au grand public la complexité de la construction du psychisme humain en faisant découvrir à cette génération combien l’enfant disposait d’un fonctionnement qui lui était propre et qui étaient hors de porter des adultes.
Ces 2 mouvements conjoints ont amené malheureusement la génération Dolto et la suivante à ne retenir qu’une partie de son message, celle qui concerne l’écoute des émotions, en occultant l’importance des limites.

Aussi, écouter l’enfant dans ses besoins : OUI, prendre tous ses désirs pour des besoins et y répondre : NON.

En nous centrant sur ce que nous, adulte, projetons des besoins de l’enfant et en associant cela au démantèlement des figures d’autorité de l’époque soixantarde, on a dérapé gravement.
Ma pratique auprès des familles me montre continuellement, combien les parents sont en difficulté, pris dans le mouvement de la société actuelle qui favorise la liberté de choisir, l’accès à l’écoute de ses propres désirs (que je différencie bien du besoin), pour maintenir tout à la fois l’écoute et le cadre. Ils ont une mission particulièrement difficile puisque la société actuelle démonte la totalité des modèles d’autorité. Cela a favorisé dans les familles un écrasement générationnel, un basculement des places où parents et enfants seraient au même niveau et à la même place dans les générations, ce qui est dramatique pour la construction psychique de ces derniers.

En se centrant sur ce que nous imaginions être les besoins de l’enfant, différents de ceux des adultes, on a oublié de les préparer à la vie adulte.
Qui vise l’éducation bienveillante, vise forcément un état relationnel où l’enfant peut être accueilli dans ses besoins profonds sans pour autant que l’on approuve tous ses comportements. Accueillir ses besoins ne signifie pas répondre à tout bout de champ à ses désirs et approuver tout ce qu’il fait. Qui dit éducation bienveillante vise une prise en compte des besoins des adultes, autrement dit de soi-même, en tant que parent.

Aussi, dans les ateliers que j’anime, il ne s’agit pas de fabriquer des parents parfaitement bienveillants, mais plutôt de proposer un espace-temps pour travailler une juste posture vis-à-vis de ses enfants, et ainsi être enclins à :
• Accueillir avec le juste recul les émotions de l’enfant plutôt que céder à tous les désirs
• Décoder dans quoi s’enracinent les comportements des enfants,
• Aider l’enfant à gérer les conséquences de ses actes,
• Rechercher des solutions de transformation plutôt qu’alimenter un cercle punition/rébellion-vengeance-soumission,
• Arroser régulièrement chez lui ce qui demeure à l’état de graine,
• Regarder où sont les ressources de l’enfant,
• L’aider à quitter les rôles contraignant dans lesquels il s’enferme.

Et cheminer sur les voies d’une parentalité suffisamment bienveillante, au sens du parent suffisamment bon dont nous parle Donald Winicott afin de veiller à l’enfant autant qu’à soi-même.

Anouck Boulet de Bohan, août 2018